L'Inventeur ferma les yeux et entonna une seule note, un ré,
clair, pur... Et doucement, le son se mua en un mi...
Sade senti ses yeux se fermer... Elle gardait conscience de L'Inventeur devant
elle, mais elle n'avait plus besoin de le voir, c'était futile, elle le voyait
mieux sans ses yeux...
Le silence se fit, quelques secondes et L'Inventeur poursuivit sur un fa qui se
mua en un sol, plus grave, Sade ne sentait plus que les mains de L'Inventeur
dans les siennes, le vent soufflait toujours, ses vêtements lui pesait, sa cape
tirait sur ses épaules mais ce n'était que ses mains qu'elle touchait, elle
comprenait que tout cela ne servait à rien, que rien n'avait plus d'importance
à cet instant que les mains de L'Inventeur dans les siennes.
Un autre silence, et l'homme repris sur un la, qui lui changea pour un si
doucement...
Et Sade cessa d'écouter, consciente que ses oreilles étaient inutiles, que tout
ce qu'elle avait déjà entendu n'était qu'illusion et que le monde se trouvait
au delà...
Sade ne ressentait plus. Sa seule réalité était les mains de L'Inventeur dans
les siennes, son visage en extase et la fièvre qui le possédait, sa folie qu'il
menait à son terme!
Et, alors qu'elle était dans le noir et le silence avec L'Inventeur, elle
l'entendit... Un simple crépitement au début, qui s'enfla lentement pour
devenir une explosion, immense, une déformation dans la toile du monde, la
première d'entre toute! Et au delà de cette tempête inimaginable, le do,
d'une puissance incomparable, la première note, le premier son, celui au
commencement de tout et de rien, la dernière note, celle qui resterait à la fin
lorsque toutes les autres se seront éteintes dans l’abime des siècles...
Et avant le do, après le do, lorsque l'amour et la haine n'était encore qu'un
souvenir, le silence... le véritable silence, avant que ne soit lancé la
première pierre sur la mer de notre monde...
Puis, le do survint, et ce crépitement de ce début bouillant de l'univers qui
se réveille avec fureur après une éternité de plénitude, de silence
Puis le si, le la, le sol, fa, mi, ré... et de retour au faux
silence de la forêt...
Pour la première fois de sa vie, Sade prit conscience du monde qui
l'entourait...
Elle entendait les oiseaux, les insectes, les animaux de toute sorte, exister
autour d'elle, elle senti le vent, ses vêtements et le soleil, elle voyait le
monde, éphémère, infini, cruel, vivant, mort mais au combien beau…
Et surtout, elle sentait L'Inventeur, ses mains dans les siennes, son odeur,
elle le voyait comme il se voyait, quelque chose caché derrière un corps... une
âme immortelle. Elle entendait le son que tout son être produisait, les
pulsations de son cœur, son souffle et tous ces petits mouvements que
produisent les hommes lorsqu'ils existent et respirent sous le ciel...
L'Inventeur rouvrit ses yeux, tout le poids de son miracle lui tombait sur les
épaules... Il se laissa tomber au sol…
épuisé…
C’est ainsi que je vois le monde Sade, je vois ce que les
autres ne voient plus car ils n’y prennent plus attention. Je vois la beauté,
votre beauté…
Je vous suivrais Sade, au travers des ténèbres les plus
obscures, au-delà de la mort. Je serais cruel et implacable. Je vivrais pour la
mort, pour sauvegarder cette beauté…
L’Inventeur se releva, échappant ses grelots auxquels il
tenait tant.
Allons Sade, la
Mort n’attend pas! Il
est temps d’apprendre au monde qu’il ne serait pas sans notre maître.
Et ils s’éloignèrent alors que l’ombre s’étendait sur la
forêt où reposeront à jamais les grelots de L’Inventeur…